Je ne viens pas pour voir.
Ce que tout le monde peut voir.
Des lacs de larmes je n’ai rien vu le premier soir.
Je ne viens pas passer des vacances longues riviera yachting et cordiera.
Je ne vais pas planter ma tente sur la hauteur. Des glaciers lointains je ne verrai rien.
S’il pleut. Tandis que file un train.
Dans l’ombre.
Au bord des lacs de larmes. Le soir
à mon arrivée.
Dès l’arrivée.
De mes yeux couleur de pluie.
Je vois le Monde à travers son brouillard.
Le grand tourisme aux lampes mauvaises.
Ça éclaire mal.
Dans un éclairage singulier.
Je suis triste.
Voilà pourquoi.
Car peut-être il ne pleut pas. J’invente.
(Suite Suisse, Laureli/Léo Scheer, 2008)
Hélène Bessette publie son premier roman, Lili pleure, chez Gallimard en 1954. Elle a 35 ans.
Elle arrive de Nouvelle Calédonie, où elle avait accompagné son mari, pasteur, dont elle vient de divorcer. Après la lecture de Marie Désoublie, roman en feuilleton publié dans Evangiles-Sud, l’ethnologue Maurice Leenhardt l’a recommandée à Michel Leiris.
Débarquée à Roubaix où elle a obtenu un poste d’institutrice et où elle loge avec son fils dans un hôtel situé en face de la gare, elle écrit. Le 4 décembre 1952, alors qu’elle a rendez-vous plus tard dans la journée au Seuil avec Francis Jeanson et Paul Flamand, Raymond Queneau lui fait signer un contrat pour dix livres chez Gallimard. « Enfin du nouveau ! », s’exclame-t-il, décidé à faire connaître celle qu’il considère comme un écrivain majeur du XXème siècle.
Je m’évaderai du monde de l’inconscient pas à pas dessiné.
Du subconscient et de ses théoriciens pernicieux.
Je m’évaderai.
Evasion et bonheur.
Une évasion audacieuse autant que réussie.
J’erre dans ma chambre à la recherche des mots oubliés.
Je m’évaderai loin des bons élèves de l’Université. Et de leur docilité pour des théories vicieuses viciées et subversives.
J’erre dans ma chambre à la recherche du français oublié.
(Le mot ou l’homme. Prenez-le comme vous voudrez.)
Je répète comme une enfant.
Comme une enfant chancelante.
Comme un malade convalescent.
La brume pâle de l’esprit souffrant se déchire.
La raison l’illumine de ses rayons brillants.
Rééducation solitaire de moi-même.
Loin des ombres (des ombres d’hommes bien diplômés).
L’illusion du théâtre d’ombres disparaît.
Disparaissent aussi les illusionnistes.
Au fond de la nuit.
Sortie du cauchemar.
(Et de quel côté se trouve la folie ? Autre question.)
À nouveau je fais connaissance avec ma chambre.
(MaternA, Laureli/Léo Scheer, 2007)
De fait, Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, Simone de Beauvoir ou Dominique Aury, Alain Bosquet ou Claude Mauriac, Claude Royet-Journoud ou Bernard Noël, partagent l’enthousiasme de Raymond Queneau et apportent à Bessette un soutien fidèle. « La littérature vivante, pour moi, pour le moment, c’est Hélène Bessette, personne d’autre en France », disait Duras, qui lira encore des extraits de l’auteure sur France Culture.
Hélène Bessette obtient le prix Cazes pour Lili pleure, d’autres de ses romans sont retenus sur les listes du Goncourt et du Médicis.
En 1956, Bessette fonde le Gang du Roman Poétique. Une revue doit exprimer son idée du roman. Ça sera Le Résumé 1 en 1969 (100 exemplaires dont 70 vendus), puis Le Résumé 2, qu’elle ne parviendra jamais à faire paraître, en dépit du soutien d’André Malraux. L’œuvre de Bessette, si elle peut être rapprochée du nouveau roman, ne ressemble à aucune autre.
Vous nous jetez en plein récit. On ne suit pas le fil de votre histoire.
Le roman, cet instant de désordre dans l’ordre général.
Cet instant d’inconnu dans le connu.
On ne dit plus rien.
On écoute.
Pour saisir le peu le bref langage des voix rapides.
(Le Résumé 2, Laureli/Léo Scheer, 2009)
Malgré l’intérêt formidable qu’elle a suscité dans les milieux littéraires et le soutien de nombreux écrivains majeurs de son temps, son œuvre ne trouve qu’un écho décevant auprès du public.
Renvoyée de l’Education Nationale après de multiples mutations, femme de ménage, répétitrice, domestique en Suisse ou en Angleterre, Hélène Bessette doit faire face à des difficultés matérielles de plus en plus insurmontables. Son caractère difficile, la frustration de ne pas connaître un plus grand succès et que Gallimard refuse de publier certains manuscrits qui lui tiennent fortement à cœur, la mènent au bord de la paranoïa. Elle perd ses derniers soutiens.
Une ombre grise arrose sans bruit des fleurs grises
ouvre la haute fenêtre
sur le balcon
affreusement vide
repousse les persiennes
sur le vent et la pluie
qui font rage
froid et glace
pénètrent à l’intérieur avec violence
(Ida ou le délire, Laureli/Léo Scheer, 2009)
Ida ou le délire est son dernier roman publié (1973). Après sa rupture avec Gallimard, elle continue d’écrire, jusqu’à la fin de sa vie, mais ne sera plus éditée. Elle meurt au Mans le 10 octobre 2000.
Après la collection LaureLi, aux éditions Léo Scheer, les éditions Attila offrent aujourd’hui la possibilité de (re)découvrir cet écrivain majeur et pourtant injustement méconnu.
L’héroïne est absente.
Absente de Paris. Héroïne par défaut. En fuite. Disparue. Morte.
(Peut-être). En tout cas non présente.
Le nom seul est resté. Sur la tombe.
Gravé sur le marbre de la tombe.
Le nom seul subsiste. Qui était cette personne ?
Qui est cette personne ?
Qui est cette femme ?
Mais qui était donc cette dame-là ?
(Garance rose, Gallimard, 1965)