Variation libre d’après Les trois soeurs d’Anton Tchekhov.
Ce sont trois très vieilles dames.
Elles se souviennent.
Pas toutes de la même chose ni toujours avec la même précision.
Parfois quelques bribes de ce passé commun viennent se perdre dans le temps présent du souvenir.
(Je me souviens).
Parfois la puissance d’un moment renait intacte, avec chaque mot, chaque visage, clairement, une mémoire commune.
Comme si tout était vrai.
Elles se rejouent elles-mêmes, se jouent les unes les autres, font revivre les disparus.
Parce que la pièce de Tchekhov me fait l’effet d’un long flash-back que l’on reverrait à l’envers. C’est à dire que rien ne peut être changé. Tout est joué déjà.
Parce qu’il faudrait une vie entière derrière soi pour dire ces mots là.
Parce que Les trois sœurs me parlent de notre perspective, de comment on s’imagine, comment on se projette, comment on essaye de s’inventer, et aussi très vite de renoncement, de désillusion et des possibles qui se ferment.
Je me dis que si on prend cette perspective à l’envers et qu’il y a ainsi porté sur ce qu’on dit en même temps l’amour pour la personne qu’on a été et aussi la présence de la personne qu’on est devenue, ça restitue ces choses qu’on s’était imaginées et qui ne se sont pas passées, ces choses qu’on aurait voulu inventer et qu’on n’a pas inventées, ça les resitue aussi au regard d’une vie qui a eu lieu malgré tout.
Parce que quand à la fin Olga dit « il faut vivre », eh bien qu’elles l’aient fait, qu’elles aient relevé ce défi et qu’elles l’aient fait. De vivre.
Elles ont donc vécu. Elles sont là, toute vieilles et puissantes.
Ensuite il y a eu la question du comment, par qui elles sont accompagnées puisqu’ici elles sont toutes les trois dans le même espace-temps que nous, qui n’est pas celui du texte de la pièce, et comment le passé existe.
Je pense à ce livre des sœurs Brown, photographiées par Nicholas Nixon une fois l’an entre 1975 et 2010. Au cours du livre on a les photos de ces sœurs, toujours toutes les quatre, dans le même ordre, debout, épaule contre épaule, sur 35 ans.
Autour d’elles tous les autres sont très jeunes, certains physiquement présents au plateau, mais pas tous.
J’ai cette image d’une vieille femme qui danse avec un tout jeune homme, comme la vie est courte, comme la vie est brève, ils le disent aussi.
Et
Moi aussi quand je serai vieille je marcherai en souriant.
A suivre…